Martine Dubois est l’une des figures reconnues du fromage à Paris. Des restaurants de tous les arrondissements font appel à elle pour leur plateau de fromages. Guidée par la passion, voire la gourmandise, visant en permanence l’excellence, elle impressionne par la qualité irréprochable de ses produits, étonne par ses créations et régale tout simplement sa clientèle. Profitant d’une giboulée de mars à ne pas mettre une vache dehors, elle nous a consacré une heure pour une interview qui sonne bon comme du franc parler et qui vous mettra sûrement l’eau à la bouche. Sa boutique se trouve rue de Tocqueville, là-même où elle est née, dans « son village ».
FoodAvenue : Martine Dubois, comment êtes-vous devenue « fromagère » ?
Martine Dubois : Par alliance, puisque j’avais épousé Alain Dubois, alors crémier. J’ai appris mon métier en écoutant, en regardant et par la visite de nombreuses fermes, chalets, burons et fruitières. Le goût des bons produits et mes origines paysannes ont aussi beaucoup contribué. Originaire du Morvan, j’ai toujours connu les foins, les vaches. La passion, ça se transmet, si bien que l’un de mes fils est devenu fromager à son tour (ndlr : à Saint Germain en Laye). C’est un beau métier, malheureusement pas toujours très bien considéré. Il est difficile pour nous de trouver des jeunes. J’essaye avec mes confrères et la Fédération (ndlr, Fédération Nationale des Détaillants en Produits Laitiers - FNDPL) de mieux valoriser notre métier. D’autant que nous ne manquons pas de clients : je suis agréablement surprise par le goût qu’ont les jeunes d’aujourd’hui pour les produits authentiques et la gastronomie. Nous devons bien entendu nous adapter à l’évolution des goûts, être irréprochables sur le plan sanitaire (ndlr : le jour de l’interview correspondait à une alerte sur des fromages italiens vendus en grande surface), mais à terme le problème sera plutôt de trouver des fournisseurs proposant d’excellents produits.
Comment faites-vous pour repérer et choisir vos fournisseurs ?
Dès 1975, en allant rencontrer les fermiers producteurs. Maintenant, l’ancienneté et la notoriété aidant, ce sont souvent eux qui me démarchent. Nous sommes plusieurs fromagères, dont Nicole Bathélémy et Marie Quatrehomme, à nous être regroupées pour repérer de nouveaux troupeaux et acheter des quantités plus significatives. Il est important d’être fidèle aux producteurs, de les suivre dans leur travail. La fidélité est récompensée par un accès aux plus belles pièces, voire à des fromages d’exception.
Question d’actualité : lait cru ou pas lait cru ?
La question n’est pas vraiment là. Désolée de faire tomber un mythe, mais un camembert au lait cru peut être mauvais et un camembert au lait microfiltré peut être excellent. On en parle surtout pour les camemberts, mais tous les fromages sont concernés et tous ne font pour autant pas autant de bruit. C’est une guerre qui fait oublier le principal : la qualité gustative du produit. Par ailleurs, nous autres fromagers avons besoin de pouvoir être approvisionnés avec une qualité constante : les fromages au lait cru sont plus délicats à maintenir et les quantités ne correspondent pas toujours à la demande.
Qu’est-ce qu’un fromager affineur ?
Encore un mythe … l’affinage, c’est la maturation du fromage. Aujourd’hui, presque plus aucun fromager n’affine les fromages dans sa cave. J’ai trois caves, chacune à des températures et des degrés d’humidité différents, parfois pour retarder un peu ou terminer l’affinage, mais un fromage est bien mieux dans sa cave d’origine pour s’affiner : il est chez lui, avec le bon taux d’humidité, la bonne température, le bon environnement et le savoir faire qui convient. D’ailleurs, pour aller encore plus loin, le terme de fromager est abusif : nous sommes des marchands de fromage, mais nous ne fabriquons pas le fromage comme le producteur auquel ce mérite revient. A l’origine, il y avait les crémiers épiciers et les crémiers fromagers. Ensuite il y a eu les fromagers et les fromagers affineurs. Mais nous sommes des marchands de fromage dont la valeur ajoutée est de discerner le produit authentique de l’industriel, de repérer de bons produits, de les proposer au bon moment et de conseiller nos clients.
Que préférez-vous dans votre métier ?
J’adore le fromage. Tous les jours je jette mon dévolu sur l’un d’eux en me disant que je ne mangerai plus que de celui-là, et le lendemain je me surprends à en essayer un autre. Je reste émerveillée devant autant de diversité : avec du lait et en variant les espèces, les terroirs et les savoir-faire, on peut faire tant de fromages différents. Ensuite, j’aime mon métier de commerçante : tous les jours quand on lève le rideau c’est une nouvelle aventure qui commence, de nouveaux clients, de nouvelles rencontres.
J’aime aussi créer de nouveaux assemblages tels que le coulommiers aux truffes, préparé après les premières gelées avec des truffes de très grande qualité, le coulommiers aux noix, plus démocratique (ndlr : un régal !), le millefeuille de fourme d’Ambert (ndlr : à tomber !), le fondant à la figue (ndrl : incontournable), le Saint Uguzon aux raisins rhum (du nom du Saint Patron des fromagers)…. j’aime aider les clients à choisir un fromage, ou à créer un plateau de fromage. Première règle : pas de recettes toutes faites. Il faut s’adapter au contexte, aux goûts et dégoûts, éviter les petites hérésies telles que deux bleus, un brie et un camembert, quoiqu’on puisse réunir plusieurs bleus pour une dégustation avec un vin liquoreux.
Pour vous y rendre :
Martine Dubois et Fils
80 rue de Tocqueville
75017 PARIS
Tél : 01 42 27 11 38
Horaires :
Du mardi au jeudi de 8h30 à 13h et de 16h à 20h.
Vendredi de 8h30 à 13h30 et de 15h30 à 20h.
Samedi de 8h30 à 19h45.
Dimanche de 9h à 13h.